Le remords et le sequoia

Voici quelques années, nous traversions une forêt magnifique. Une belle promenade, en pleine quiétude. Il est vrai que nous étions en plein confinement dû au virus que vous savez, et n’avions rien à faire dans cette forêt qui s’étalait bien plus loin que le malheureux kilomètre que les autorités nous autorisaient à ce moment-là.

Soudainement nous avons aperçu, à l’orée d’un groupe de rochers, quatre arbres énormes, majestueux, sortis d’un rêve de forestier. La cime en était si haute qu’on ne pouvait l’apercevoir. La puissance de ces troncs défiait l’imagination. Ces géants-là avaient certainement plusieurs milliers d’années.

Mais nous sommes menuisiers, pas forestiers, et la tentation était trop forte. Alors nous sommes revenus plus tard, en pleine nuit, avec la tronçonneuse idoine, une très grosse tronçonneuse. Nous avons demandé pardon à l’ancêtre, avons mis tous nos scrupules dans un trou puis nous avons chaviré la bête. C’était un soir de grand vent et personne n’a entendu la chute.

Sachant qu’il faut à peu près un mètre cube de bois pour construire 25 bâts,  ce tronc-là pouvait nous donner 29.000 pièces. Nous en avons donc pour 145 années d’activité. Un boulevard de bonheur pour tous les âniers de la planète jusqu’au siècle prochain…

C’est vrai que c’est pas bien d’avoir coupé un bel arbre comme celui-ci, mais en même temps on a grâcié les trois autres, car on a quand même des sentiments… Sans compter qu’il a fallu 950 camions de grumes pour venir à bout du stock avant l’arrivée des gardes forestiers, que ça a coûté bien des sous au black tout ça. Sans compter qu’il a fallu embaucher une milice privée pour empêcher une éventuelle ZAD de s’installer dans la canopée.

Voilà, il fallait qu’on vous le confesse, car le remords a fini par nous ronger. Et depuis cette nuit fatidique, à chaque copeau la honte dégouline sur nous comme la moutarde sur le lapin...